Mars 2004, La Foresterie, France.
Il est tard, c’est un soir de printemps, nous venons de finir notre troisième cours de la semaine. Je suis saisie par la simplicité de la seule indication : « Ouvres simplement la bouche et chante » , au début j’hésite, timide, peu confiante en ma voix qui depuis des années se cherche. Il y’a quelque chose dans ce rapport, dans cet échange qui à une qualité tout différente de ce que j’ai connu jusqu’à présent. C’est difficile à décrire, c’est comme si un fil invisible nous relie, mais ce fil est au delà de nous, et il n’a rien de personnel.
Je m’apprête à quitter la pièce, mais c’est alors qu’il s’assoit sur la moquette blanche de cette salle que nous appelons l’étable, évidemment car il s’agit d’une ancienne étable, transformée en salle de musique. Quelques notes résonnent, la tampura : « beautiful », il dit…puis il joue…un moment, les esprits se calment, tout semble un instant suspendu. Puis sa voix s’élève, chaude, elle vient comme danser autour du son de la tampura, « c’est beau » , je me dis que j’ai rarement entendu un chant aussi beau. Pourtant je l’ai déjà entendu ce chant, cette musique je la connais, mais en cet instant c’est comme si un voile se lève peu à peu sur son vrai visage.
Petit à petit je tombe, je m’enfonce dans le sol, je perds pieds, je baisse les armes.Que m’arrive- t-il? Je vascille. Son chant devient de plus en plus beau, de plus en plus fort, au fur et à mesure que sa voix évolue, explore les recoins du raga , la notion d’être moi-même disparait, mais pour une fois je ne me bats pas. Je laisse faire.
Puis, l’émotion me gagne, les larmes me viennent, et je me laisse porter. Je ne suis pas en transe, je suis pleinement présente, la beauté du chant devient insoutenable et j’explose en sanglots, c’est alors que le chanteur disparait de la pièce, je le vois, mais je ne le vois plus, il est là, mais il a disparu. Le chant a pris le dessus et sa beauté m’est insupportable. Les larmes continuent de couler. Ça y’est j’y suis … j’ai trouvé la maison, j’ai trouvé ce que j’attendais depuis toujours. Point d'union, de rencontre.Une vision plus grande s’ensuit, une force intérieure s’éveille et en un instant la certitude ; « Apprends tout de ce maître de musique, fais lui entièrement confiance, et tout le reste découlera de ça ». Jamais je ne me suis sentie aussi vivante, la peur à disparu. J’ai trouvé ma place. Je sais ce que j’ai à faire.Je passe mon baccalauréat dans quelques mois puis je pars le retrouver à Chennai, en Inde du sud, pour une durée indéterminée, et ce afin de me consacrer à l'apprentissage de cette musique à ses côtés.
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